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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 198

13/4/2001

  1. LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR " VIOLATION DU DROIT À LA VIE " APRÈS LE DÉCÉS D’UN JEUNE KURDE
  2. LA GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES A DÉJÀ FAIT NEUF VICTIMES
  3. BULENT ECEVIT JOUE LES PROLONGATIONS
  4. MANIFESTATION RACISTE À SUSURLUK CONTRE LA COMMUNAUTÉ KURDE
  5. UN GUIDE DES TERMES, ETABLI PAR LE MINISTÈRE TURC DE L’INTÉRIEUR, DONNE LE VOCABULAIRE À EMPLOYER LORS DES REPORTAGES SUR LA QUESTION KURDE
  6. CONFÉRENCE D’AKIN BIRDAL À RENNES


LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME CONDAMNE LA TURQUIE POUR " VIOLATION DU DROIT À LA VIE " APRÈS LE DÉCÉS D’UN JEUNE KURDE


La Turquie a été condamnée, le 10 avril, à Strasbourg par la Cour européenne des droits de l'Homme pour violation du droit à la vie, après le décès suspect d'un jeune Kurde de 22 ans en 1994 pendant un interrogatoire de police à Uluyol (Kurdistan de Turquie)

Mahmut Tanli, fils d'un fermier kurde habitant le village d'Ortulu, avait été placé en garde-à-vue par les gendarmes le 27 juin 1994. Le lendemain, la famille avait été avertie que le jeune homme était mort d'une attaque cardiaque, l'autopsie officielle confirmant que le corps ne portait pas de traces de violences. Cependant, d'après sa famille, son corps portait des marques de coups et des ecchymoses.

La Cour européenne a jugé que l'autopsie, bâclée, n'avait "aucune valeur scientifique" et ne permettait en aucun cas d'établir que la victime était décédée de mort naturelle. Selon les juges européens, le gouvernement turc est incontestablement responsable de la mort de ce jeune homme qui était en bonne santé au moment de son arrestation et avait accompli son service militaire un an plus tôt sans le moindre problème médical. Le gouvernement a failli à son obligation de fournir une explication au décès en pratiquant les examens nécessaires : le cœur n'a pas été disséqué, les organes n'ont pas été enlevés ni pesés, aucune photographie n'a été prise, le constat d'embolie n'a pas été correctement décrit ni analysé. L'Institut de médecine légale d'Istanbul, qui a fait un second examen du corps le 12 juin 1995, n'a pas pu apporter la preuve de tortures en raison de la décomposition du corps. Trois policiers impliqués dans l'affaire avaient été acquittés.

La Cour européenne a jugé que le requérant, le père de la victime, avait subi une violation de son droit à un recours effectif devant les tribunaux. Elle l'a en revanche débouté de ses plaintes pour violation de l'interdiction de la torture, du droit à la liberté et à la sûreté et de l'interdiction de la discrimination.

Les juges de Strasbourg ont alloué 10.000 livres sterling au père pour dommage moral, et, à la veuve et à son fils, 38.750 livres pour dommage matériel et 20.000 livres pour tort moral (soit au total 110.900 EUR).

LA GRÈVE DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES A DÉJÀ FAIT NEUF VICTIMES


Après 173 jours de grève de la faim, la protestation des prisonniers turcs se poursuit avec détermination mais dans l'indifférence, et en l'absence de tout dialogue. Selon l'Association turque des droits de l'Homme (IHD), 122 prisonniers sont hospitalisés, 400 prisonniers observent une grève de la faim "totale" ou "à mort", et 1656 personnes participent à une grève de la faim tournante.

Le nombre de victimes augmente : Gulsuman Ada Donmez, décédée, le 9 avril, à l'hôpital après une grève de la faim de solidarité avec son frère emprisonné ; Nergiz Gülmez et Fatma Ersoy, décédées le 11 avril ; trois détenus, en grève de la faim par intermittence, sont décédés, le 12 avril. Abdullah Bozdag et Celal Alpay, tous deux membres de partis de gauche interdits, étaient en grève de la faim depuis 175 jours. Ils sont morts à l'hôpital d'Izmir. Tuncay Gunel, en grève depuis 115 jours, membre lui aussi d'un mouvement d’extrême gauche, est mort à l'hôpital d'Edirne. Ce qui porte à neuf morts le bilan de ce mouvement de protestation contre la décision de l'administration de transférer les prisonniers dans des cellules plus petites où ils s'estiment à la merci des mauvais traitements.

Lancée en septembre par des centaines de prisonniers opposés aux prisons à cellules pour trois personnes maximum qui doivent remplacer celles équipées de dortoirs abritant de 50 à 100 lits, la grève de la faim avait continué après le 19 décembre, quand les forces de l'ordre avaient pris d'assaut 20 prisons, faisant 32 morts.

"Nous essayons d'établir des ponts entre le gouvernement et les prisonniers", déclare Yavuz Onen, Président de la Fondation turque des droits de l'Homme. "Il faut absolument rouvrir le débat", a-t-il dit sans conviction, "car il faut accepter que la vie en isolement dans ces cellules est inacceptable et inhumaine".

L'enjeu, alors que trois de ces prisons de type F à cellules de trois détenus maximum sont désormais en fonction, est de permettre que les prisonniers puissent se retrouver en nombre restreint, six ou neuf, dans des lieux communs en cours de journée.

La clef de ce changement de régime réside dans la modification d'une loi antiterroriste dont un article spécifie que les personnes jugées pour terrorisme doivent rester isolées.

Depuis l'échec de négociations en décembre, le ministre de la Justice, Hikmet Sami Turk, a gardé un profil bas dans cette crise, et a été accusé par le président de la Commission parlementaire des droits de l'Homme de "ne pas montrer de réelle volonté de mettre fin aux grèves de la faim" (Radikal 10-04-01)

Oral Calislar, journaliste au quotidien turc Cumhuriyet et intermédiaire par le passé entre le pouvoir et les organisations d'extrême gauche, reçoit chaque jour une dizaine de lettres de grévistes de la faim qui disent toutes : "Si on nous laisse là, nous allons mourir", mais le gouvernement fait la sourde oreille.

Ertugrul Kurkçu, journaliste et ancien dirigeant de l'organisation Dev-Genç (Jeunesse Révolutionnaire) qui a passé 14 ans en prison, porte un jugement désabusé mais critique sur la manière dont est menée cette lutte. "Leur cause est d'autant plus difficile à défendre qu'ils ont perdu sur le principe en décembre dernier. Aujourd'hui la Turquie est tenue en haleine par d'autres problèmes, et enfin le soutien moral de la presse n'est plus là", dit-il. "Ce qui risque de radicaliser d'autant les positions pour se faire entendre", craint-il. "Je suis partagé : ils ont raison sur le principe, mais il y a des situations où il faut sauver ce que l'on a de plus précieux, c'est-à-dire la vie". Il note que "les dirigeants, eux, ne sont pas en grève, et que ce sont les jeunes qui ont leurs preuves à faire dans l'organisation, qui passent en quelque sorte un test". Ces jeunes, selon Oral Calislar, "ont été accusés de terrorisme pour une manifestation d'étudiants, n'attendent plus rien de l'Etat ni de la vie et se retrouvent sous la coupe de leaders extrémistes".

BULENT ECEVIT JOUE LES PROLONGATIONS


Dans des scènes d’une rare violence depuis la fin des années 1970, des affrontements à Ankara ont, le 11 avril, opposé la police anti-émeute et les manifestants, faisant plus d'une centaine de blessés --48 policiers et 67 manifestants- 30 manifestants ont été interpellés. Les manifestants ont jeté des pierres et des projectiles métalliques contre les forces de l'ordre, qui ont répliqué avec des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des tirs en l'air. Plus de 200 000 Turcs ont manifesté pour exiger la démission du gouvernement, accusé de mauvaise gestion économique. Plus de 200 personnes ont été blessées dans les affrontements avec la police.

"À bas le gouvernement !", "Non à la pauvreté et à la corruption !", ou "Turquie, ouvre les yeux !", scandaient les manifestants -70.000 personnes étaient mobilisées à l'appel de la Chambre des commerçants et artisans d'Ankara. À Izmir, 40.000 personnes ont manifesté en réclamant la démission du gouvernement, et 50.000 autres à Mersin. Des cortèges ont aussi défilé à Gaziantep et Mersin. Les manifestants s'en sont pris à des locaux administratifs, des voitures et des magasins et ont lancé des pierres et des briques aux forces de l'ordre qui ont répliqué avec canons à eau et matraques. 202 personnes ont été blessées, dont une dizaine de journalistes et 137 policiers, et une centaine d'autres arrêtées.

M. Ecevit a répliqué qu'il ne démissionnerait pas, sans exclure la possibilité d'un remaniement gouvernemental. "Je crois qu'actuellement, la recherche d'un nouveau gouvernement pourrait ouvrir la voie à une crise gouvernementale. C'est pourquoi je reste, et je resterai, en fonction", a-t-il dit devant son groupe parlementaire. Interrogé sur un remaniement, il a répondu : "C'est une question à discuter entre les dirigeants de la coalition" [tripartite gouvernementale].

La crise a déclenché une inflation galopante et une vague de licenciements qui touche un demi-million de personnes. Le ministre de l'Economie, Kemal Dervis, a déclaré, le 11 avril, qu'il rendrait sans doute public le 13 avril, son programme économique très attendu. L'armée a pour sa part annoncé qu'elle reportait 32 projets d'une valeur totale de 19,5 milliards de dollars (143 milliards de FF).

D'autres manifestations sont prévues pour le week-end. De nombreux experts prédisent que le gouvernement pourrait tomber s'il ne prenait pas des mesures d'urgence. La pression est encore montée quand la principale association d'hommes d'affaires et commerçants, le TOBB (1,3 million d'adhérents), pourtant conservatrice, s'est, le 10 avril, jointe aux appels à la démission du gouvernement.

MANIFESTATION RACISTE À SUSURLUK CONTRE LA COMMUNAUTÉ KURDE


La ville de Susurluk, mise sous les projeteurs depuis le scandale mettant en lumière la collusion entre la mafia, le monde politique et la police turque, occupe à nouveau le devant de la scène. Sept personnes ont été blessées, le 8 avril, lors de violents incidents dirigés contre les Kurdes après le meurtre d'une fillette de 11 ans à Susurluk par un suspect originaire de la province kurde de Diyarbakir.

Quelques 5.000 personnes au soir du 7 avril, puis 7000 personnes le 8 avril, rassemblées sur l'artère principale de Susurluk, ont scandé des slogans comme "Mort aux Kurdes" ou "A bas le PKK" avant d'incendier en partie le restaurant où travaillait Recep Ipek, soupçonné d'avoir tué la petite Afsar Sila Çaldiran.

La police avait pris d'importantes mesures de sécurité dans la ville après que le corps de la petite victime eut été découvert, le 7 avril, dans le sous-sol de la maison du suspect. Ce dernier est un ancien protecteur de village volontaire, congédié après avoir été impliqué dans des affaires on ne peut plus illégales.

Sept personnes, dont quatre agents de sécurité, ont été blessées dans les violentes échauffourées qui ont éclaté. La maison du suspect et deux magasins appartenant à des Kurdes ont été incendiés par les manifestants. Les Kurdes, échoués dans la région après l’évacuation de leurs villages par l’armée turque, ont été contraints de quitter la ville.

À partir des images de la police, la presse turque a reconnu Ümit Çankçi, responsable local du Parti de l’Action nationaliste (MHP-ultranatioanliste) comme l’un des meneurs de l’émeute.

UN GUIDE DES TERMES, ETABLI PAR LE MINISTÈRE TURC DE L’INTÉRIEUR, DONNE LE VOCABULAIRE À EMPLOYER LORS DES REPORTAGES SUR LA QUESTION KURDE


Le ministère turc de l’Intérieur a publié un guide destiné à la chaîne de télévision nationale turque (TRT) sur le vocabulaire à employer lors de reportages sur la question kurde.

La note d’information, adressée au directeur général du TRT, précise : " Nos diffusions à l’étranger sont considérées comme la voix de la République turque. Aussi est-il important que ces émissions soient alignées sur nos objectifs et politiques nationaux. Par conséquent, il est nécessaire de prendre en considération [cette note] lors de la préparation des programmes dans le cadre des opérations psychologiques. " " Il est nécessaire de s’assurer que les média ne fourniront pas d’informations susceptibles d’affecter négativement les opérations contre-terroristes…Le fait que les activités terroristes soient terminées ne veut pas dire que le danger du terrorisme soit disparu. Aussi, les organes de média devraient continuer de soutenir et montrer de l’intérêt au combat contre le terrorisme et diffuser des programmes donnant du moral et de la motivation au peuple " poursuit la note. " Au moment où les activités terroristes sont suspendues, les média devraient utiliser toutes les opportunités pour encourager les groupes qui se sont placés dans le camps de l’Etat, les assurer qu’ils reçoivent l’attention nécessaire et que l’Etat les soutiendra toujours " ajoute-t-il. Voici quelques-uns des termes contenus sur la liste du ministère :
  • Pour " guérilla, rebelle " utiliser : " terroriste, facteur terroriste, hors la loi, bandit. "
  • Pour " peshmerga, réfugié " utiliser : " Les Irakiens du nord, ceux qui cherchent un abri ".
  • Pour " soulèvement, soulèvement kurde, la guerre de libération nationale kurde, la lutte kurde pour la liberté, la rébellion kurde, le soulèvement armé, la rébellion " utiliser : " les activités terroristes ".
  • Pour " PKK, KAWA, KNK, les pro-Apo " utiliser : " l’organisation terroriste du PKK, l’organisation terroriste sanguinaire, le réseau d’assassinats ".
  • Pour " Opération, opération de nettoyage " utiliser : " recherche de terroristes et de criminels ".
  • Pour " opération de sécurité, opération de sauvegarde de la paix " utiliser : " poursuite de criminels ".
  • Pour " commandant, gouverneur, gouverneur du district " utiliser : " officiel ".
  • Pour " Kurde, Kurde de Turquie, race kurde, citoyen kurde " utiliser : " citoyen Turc ".
  • Pour " origine kurde, citoyen d’origine kurde, peuple de race kurde " utiliser : " citoyen turc / nos citoyens définis kurdes par les cercles séparatistes ".
  • Pour " Apo " utiliser : " terroriste Ocalan ".
  • Pour " base de l’organisation, camps, les QG en Turquie " utiliser : " abri terroriste, refuge terroriste ".
  • Pour " organisation Marxiste-Léniniste " utiliser : " organisation terroriste " à noter que le fait que l’organisation à une tendance marxiste léniniste peut être utilisé à l’étranger.
  • Pour " l’épisode d’Ocalan à Rome " utiliser : " le refuge de chef terroriste à Rome "
  • Pour " villages évacués, villages incendiés " utiliser : " villages désertés, villages désertés par le peuple ".
  • Pour " habitant du Sud-Est, peuple du Sud-est anatolien, peuple de l’Est et du Sud-est anatolien " utiliser : " nos citoyens vivant dans l’Est de la Turquie ".
  • Pour " Le parlement kurde en Exil " utiliser : " réunion tenue sous le contrôle de l’organisation terroriste du PKK ".
  • Pour " député kurde, Parlement kurde " utiliser : " membre de l’organisation terroriste "
  • Pour " guerre de faible intensité " utiliser : " contre-terrorisme ".
  • Pour " Etat kurde " utiliser : " la Formation, entité dans le nord de l’Irak "
  • Pour " leader kurde " utiliser : " les chefs de tribus, chef dans le nord de l’Irak "


CONFÉRENCE D’AKIN BIRDAL À RENNES


Dans le cadre des manifestations " Vos droits de l’homme, s’il vous plaît " Akin Birdal, président d’honneur de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) et vice-président de la Fédération Internationale des droits de l’homme (FIDH), donnera une conférence publique, à l’invitation de la Délégation rennaise Kurdistan, dans la Salle de la Cité, à Rennes, vendredi 20 avril à 20h30.