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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 187

7/12/2000

  1. AMNISTIE AVANT LES FÊTES DU RAMADAN EN TURQUIE. SAUF POUR LES PRISONNIERS POLITIQUES
  2. LE " PARTENARIAT D’ADHÉSION " OBTENU À L’ARRACHÉ PAR ANKARA
  3. SELON LE COMITÉ ANTI-TORTURE DU CONSEIL DE L’EUROPE: PRISON DORÉE POUR ABDULLAH ÖCALAN, TORTURE POUR D’AUTRES
  4. FMI PROMET 10 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE
  5. SANAR YURDATAPAN EN PRISON
  6. PSYCHOSE DRAME TURCO-EUROPÉEN : TOLLÉ AUTOUR D’UNE LETTRE ENVOYÉE AU PKK PAR UN FONCTIONNAIRE DE LA COMMISSION


AMNISTIE AVANT LES FÊTES DU RAMADAN EN TURQUIE. SAUF POUR LES PRISONNIERS POLITIQUES


Les leaders de la coalition gouvernementale ont enfin mis une touche finale au projet de loi sur l’amnistie, dans l’agenda depuis plus de deux ans. Le gouvernement de coalition tripartite avait mis au point ce projet d'amnistie après les législatives d'avril 1999, mais il n'a jamais été mis en œuvre à la suite de désaccords sur les personnes qu'il devait concerner.

Une commission parlementaire turque a adopté un projet de loi controversé d'amnistie partielle qui laisse planer la menace d'une exécution pour le chef kurde Abdullah Ocalan. Selon le projet, adopté dans la nuit du 6 au 7 décembre, par la commission constitutionnelle, le moratoire sur les exécutions en vigueur depuis 1984 sera maintenu, excepté pour les condamnés pour "terrorisme", ce qui est le cas du chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Öcalan a été condamné à mort en juin 1999 pour trahison et séparatisme aux termes de l'article 125 du code pénal turc sanctionnant les délits "terroristes".

Le projet devrait être adopté le 7 décembre par la commission de la justice avant d'être débattu le lendemain en séance plénière par le Parlement. S'il est voté, il doit encore être approuvé par le président Sezer. Le projet de loi couvre les crimes et délits commis avant le 23 avril 1999.

Le projet actuel, plus restrictif que le premier qui a été sanctionné par le veto de l’ancien président turc Süleyman Demirel, n’inclue pas les prisonniers condamnés pour corruption, fraude ou détournement de fonds et ni les crimes de la mafia. Cela étant, Haluk Kirci, ultra-nationaliste, impliqué dans le meurtre de sept étudiants à Istanbul, et plus récemment dans des crimes mafieux, devrait bénéficier d’une remise de peine de 10 ans [ndlr : La coalition gouvernementale s’était vivement affrontée lors des discussions du premier et du second projet d’amnistie pour le cas de ce militant d’extrême droite, le parti de l’Action nationaliste (MHP) exigeant son amnistie malgré la réaction de l’opinion publique et de ses partenaires de la coalition].

Par ailleurs, l’article 169 du code pénal turc (TCK) sanctionnant " aide et soutien à une organisation terroriste " sera finalement inclus dans la loi d’amnistie. Autre aménagement, la loi d’amnistie relative à la presse — sanctionnée une première fois par le Conseil constitutionnel pour iniquité - sera élargie pour également comprendre les déclarations faites dans les rassemblements et meetings.

La loi devrait également concerner l'ex-Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, condamné à un an de prison pour incitation à la haine raciale et religieuse, qui n'irait pas en prison, mais resterait interdit d'activité politique. Des dirigeants du Parti de la démocratie du peuple (Hadep, pro-kurde), condamnés pour " séparatisme " en bénéficieraient également. S'il est voté, le texte devrait vider les prisons turques surpeuplées [ndlr : 70.000 détenus] de plus de 50 000 détenus.

Cependant sur le plan de dix mille prisonniers politiques que compte le pays, à peine une centaine seraient élargis. Les députés kurdes restent exclus de l’amnistie.

LE " PARTENARIAT D’ADHÉSION " OBTENU À L’ARRACHÉ PAR ANKARA


Les Quinze de l'Union européenne (UE) affirment, le 4 décembre, être finalement parvenus à éviter une crise sérieuse sur le "partenariat d'adhésion" proposé à la Turquie et à arracher un accord entre Grecs et Turcs, à l'issue d'un travail qualifié de véritable "marqueterie".

Il y a eu un "travail important sur les mots" utilisés dans le document de "partenariat d'adhésion", qui définit la route à suivre par la Turquie pour adhérer à l'UE. C'était "presque de la marqueterie", a lancé après une rencontre ministérielle le chef de la diplomatie française Hubert Védrine, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE jusqu'à fin décembre 2000, pour donner une idée de la difficulté qu'il y a eu à trouver une solution.

Ankara ne voulait pas entendre parler de l'inscription du problème de Chypre dans les critères politiques à court terme devant être réglés par la Turquie avant la fin de 2001, contrairement à ce que souhaitait la Grèce. Le ressentiment et l'inquiétude de la Turquie étaient d'autant plus forts que l'accomplissement des critères politiques, dits "critères de Copenhague", est indispensable pour qu'un pays candidat à l'UE puisse engager les négociations d'adhésion à l'Union.

Selon des sources européennes toutefois, les sujets litigieux entre Athènes et Ankara restent mentionnés, mais dans un chapitre du partenariat d'adhésion intitulé "dialogue politique renforcée et critères politiques". Ce chapitre fait "référence à une solution d'ensemble au problème de Chypre", ainsi qu'"au règlement pacifique des différends", une allusion aux questions territoriales de la Mer Egée, "en accord avec la Charte des Nations Unies". Le chapitre se situe en droite ligne des décisions du sommet européen de Helsinki, en décembre dernier, au cours duquel les Quinze avaient permis à la Turquie d'accéder au statut de candidat à l'UE, sans pouvoir cependant engager déjà des négociations d'adhésion.

À trois jours du sommet européen de Nice, une réunion capitale pour l'élargissement de l'Europe, les Quinze assurent avoir ainsi évité une crise sérieuse entre la Grèce et la Turquie. Le partenariat d'adhésion va désormais être officiellement présenté et adopté au sommet de Nice, prévu du 7 au 9 décembre. Le Premier ministre turc Bülent Ecevit a été invité par M. Jacques Chirac à la conférence de Nice. C’est une première pour la Turquie, puisque le drapeau turc flottera parmi les 27 autres pays candidats et membres de l’UE.

SELON LE COMITÉ ANTI-TORTURE DU CONSEIL DE L’EUROPE: PRISON DORÉE POUR ABDULLAH ÖCALAN, TORTURE POUR D’AUTRES


Selon le rapport publié le 7 décembre à Strasbourg avec l'accord du gouvernement turc, après une visite du CPT en Turquie du 23 février au 3 mars 1999, Abdullah Ocalan, détenu dans l'île-prison d'Imrali, dispose d'une cellule de 13 m2, bien éclairée à la lumière naturelle et convenablement équipée avec un lit, un bureau, des toilettes, douche, lavabo et une climatisation, le tout "de très bonne qualité". Soumis à un rigoureux isolement, il ne court pourtant, selon le rapport, aucun risque de mauvais traitement et quatre médecins prennent soin de lui: un généraliste, un cardiologue, un spécialiste de médecine interne et un psychiatre.

En outre, il peut écouter les émissions de la radio turque TRT-FM et il reçoit régulièrement des livres, périodiques et la presse quotidienne. Le gouvernement turc, dont la réponse est jointe au rapport, déclare qu'Abdullah Ocalan peut lire tous les livres qu'il veut, ainsi que les publications et journaux que lui apportent ses avocats et sa famille qui lui rendent visite régulièrement.

En outre, afin de pallier les effets négatifs de l'isolement sur la santé mentale de M. Öcalan, des personnes spécialement formées aux relations humaines "ont des conversations quotidiennes, à des heures spécifiques, avec le détenu", selon Ankara.

Quant aux demandes pressantes du CPT d'agrandir l'espace vital d'Abdullah Ocalan ou de rompre son isolement, en lui permettant d'avoir des compagnons de cellule, la réponse d'Ankara est un non ferme, soit pour des raisons de sécurité, soit parce que la loi anti-terrorisme l'interdit. D'ailleurs, souligne le gouvernement, le prisonnier dispose aussi d'une aire de promenade de 45 m2, alors que celles réservées aux "criminels dangereux" de certaines prisons occidentales en Allemagne, en Norvège ou en Finlande "sont plus petites".

Dans ce même rapport, le CPT relève plusieurs nouveaux cas de torture et mauvais traitements dans les sections anti-terroristes de la police d'Istanbul et d'Izmir: "pendaison palestinienne" (suspension par les bras), coups sur tout le corps, électro-chocs. Les médecins du CPT ont pu constater la véracité de certaines allégations. Le cas le plus grave, d'ailleurs reconnu par Ankara, est celui du syndicaliste Suleyman Yeter, torturé à mort en garde-à-vue du 5 au 7 mars 1999 à Istanbul. Les trois policiers auteurs présumés des tortures font l'objet de poursuites judiciaires, a indiqué le gouvernement. "Une action décisive doit être faite pour éradiquer, une fois pour toutes, le recours à la torture et aux mauvais traitements par les policiers" du département anti-terroriste d'Istanbul, selon le CPT.

FMI PROMET 10 MILLIARDS DE DOLLARS À LA TURQUIE


Le Fonds monétaire international (FMI) a, le 6 décembre, volé au secours de la Turquie en annonçant une aide de 10 milliards de dollars pour régler sa crise de liquidités en échange d'une accélération de la réforme du secteur bancaire et des privatisations. Signe d'un rétablissement de la confiance, la Bourse d'Istanbul s'est envolée en clôturant en hausse de 18,6% par rapport à la veille, où elle s'était déjà reprise après deux semaines d'une baisse ayant atteint près de 50%, dans l'anticipation de l'annonce du FMI. Et les taux d'intérêt au jour le jour tournaient autour de 200 %, après avoir crevé le plafond à 1.700% pendant la crise

Le directeur général du Fonds, Horst Koehler, va demander au Conseil d'administration des crédits d'un peu plus de 10 milliards de dollars, dont une première tranche de 2,8 milliards de dollars sera débloquée dès le 21 décembre, date de la réunion du Conseil, a annoncé à Ankara son directeur pour l'Europe Michael Deppler. Qui plus est, le chef économiste de la Banque mondiale, Nicholas Stern, a annoncé, le 5 novembre que la Banque allait discuter prochainement d'un programme d'aide d'environ cinq milliards de dollars à la Turquie.

En contrepartie, le Premier ministre turc Bulent Ecevit a annoncé une série de mesures : accélération de la privatisation de Turk Telekom, Turkish Airlines (THY) et du secteur de l'électricité, renforcement de la réforme du secteur bancaire, qui sera détaillée dans une lettre d'intention au FMI, et de la lutte contre l'inflation pour la ramener à 12 % fin 2001 (44 % actuellement).

Fin octobre 2000, dix banques étaient placées sous la tutelle de l'Etat, dont plusieurs frappées par des scandales de corruption. Le 5 décembre, un onzième établissement bancaire, Demirbank, dont les difficultés avaient été le détonateur de la crise, les a rejointes, et une autre, Investment Bank, s'est vue retirer sa licence. La crise financière est liée à la fragilité du secteur bancaire, qui a massivement misé sur les bons du Trésor -- dont les profits ont fondu avec la baisse des taux d'intérêt et les succès dans la lutte contre l'inflation -- et aux retards dans le processus de privatisation, composantes du programme de réforme anti-inflation en œuvre depuis décembre 1999 en accord avec le FMI, qui avait débloqué 3,7 milliards de dollars de crédits sur trois ans.

SANAR YURDATAPAN EN PRISON


Le musicien et défenseur des droits de l’homme Sanar Yurdatapan, à l’initiative du projet " Liberté pour la pensée ", devrait être écroué le 8 décembre, après avoir été jugé par un tribunal militaire. M. Yurdatapan et Nevzat Onaran, ancien président de la section d’Istanbul de l’Association des journalistes contemporains, ont été condamnés par le tribunal militaire de l’état-major turc, sur le fondement de l’article 155 du code pénal turc [ndlr : incitation du peuple contre l’armée], à deux mois de prison et à une amende de deux millions de livres turques. La cour de cassation militaire ayant approuvé la décision, M. Onaran a été écroué à la prison de Metris le 23 novembre.

À l’origine, la déclaration d’Osman Murat Ülke, objecteur de conscience, avait été publiée le 1er septembre 1995 dans le livret " Liberté pour la pensée N°9 " et le journaliste Koray Düzgören et la chanteuse Nilüfer Akbal, avaient co-signé la publication. M. Ülke avait été condamné à six mois de prison et Mlle Akbal et M. Düzgören avaient échappé à leur peine sur le fondement de la loi sur la presse prorogeant la sanction pénale jusqu’à trois ans, sauf récidive. C’est alors que Sanar Yurdatapan et Nevzat Onaran ont réédité le livret sous le nom de " Liberté à la pensée N°39 " et ont cette fois-ci été condamnés sur le même chef d’accusation.

La Cour européenne des droits de l’homme a été saisie de l’affaire sur le fondement de la violation de la liberté de la pensée mais aussi sur la remise en cause de l’impartialité des tribunaux militaires (composés uniquement de militaires) dans une affaire impliquant uniquement des civils. La Cour avait à plusieurs reprises condamné la Turquie pour l’impartialité des fameuses Cours de sûreté de l’Etat (DGM) et Ankara avait finalement destituer le juge militaire siégeant dans ces cours. Aujourd’hui, c’est un tribunal totalement militaire qui est en cause.

PSYCHOSE DRAME TURCO-EUROPÉEN : TOLLÉ AUTOUR D’UNE LETTRE ENVOYÉE AU PKK PAR UN FONCTIONNAIRE DE LA COMMISSION


Une lettre envoyée le 20 novembre au parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), par un fonctionnaire chargé des relations avec la Turquie, a soulevé un tollé en Turquie. Ce texte banal, accusant réception d’un courrier envoyé par le comité du Kurdistan du PKK au président de la Commission rappelait la position de celle-ci sur les droits des Kurdes. Elle est signée d’Alain Servantie, qui marié à une Turque et turcophile militant passe pour être un avocat de la Turquie à Bruxelles aurait passer inaperçu, si l’adresse du destinateur ne comportait pas mention " Comité du Kurdistan, Conseil présidentiel du PKK ". A. Servantie affirme avoir signé ce courrier sans y faire attention et qu’il s’agit d’une erreur de secrétariat. Les Turcs très susceptibles, y voit un complot séparatiste et y décèle des noirs plans européens. Devant le tollé turc, M. Reijo Kemppinen, porte-parole de la Commission, a déclaré qu’il s’agissait d’une erreur administrative. "La Commission européenne considère que le gouvernement turc est notre seul partenaire officiel" et tient à souligner "les bonnes relations avec la Turquie dans la mise en place de la stratégie du partenariat d'adhésion" à l'Union européenne, a ajouté le porte-parole.

Le vice-Premier ministre turc Mesut Yilmaz a, le 2 décembre, vivement réagi en déclarant : "Il faut que nous en sachions plus sur ce qui lie l'UE à cette lettre, mais quoi qu'il en soit, que la lettre ait été envoyée avec ou sans l'aval de la Commission est absolument honteux". Pour sa part, le ministère turc des Affaires étrangères, a indiqué le 1er décembre, dans un communiqué, que "le fait que la Commission considère comme un interlocuteur une organisation terroriste responsable de milliers de morts innocents" n'avait "aucun sens". Un représentant de l'UE à Ankara a d'ailleurs été convoqué au ministère le même jour pour entendre les doléances turques sur cette affaire.?