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POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
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Liste
NO: 165

24/3/2000

  1. LE NEWROZ, FÊTE DU NOUVEL AN KURDE CÉLEBRÉ DANS UN CALME RELATIF
  2. EUROCOPTER AYANT ÉTÉ ÉCARTÉ DU MARCHÉ TURC, JACQUES CHIRAC AJOURNE SON VOYAGE À ANKARA
  3. LE PRÉSIDENT DU HADEP RISQUE TROIS ANS DE PRISON
  4. ANKARA NE VEUT PAS RECEVOIR MAX VAN DER STOEL
  5. WALID JOUMBLAT PLAIDE POUR LES DROITS CULTURELS DES KURDES


LE NEWROZ, FÊTE DU NOUVEL AN KURDE CÉLEBRÉ DANS UN CALME RELATIF


Les festivités du Newroz, marquant le début du printemps à l’équinoxe du 21 mars et considéré par les Kurdes comme le début du nouvel an, se sont déroulées dans un calme relatif mais sous haute surveillance policière dans les villes dont les préfets avaient autorisé les célébrations. Le président Süleyman Demirel et le Premier ministre turc Bülent Ecevit ont adressé des messages à la population en soulignant que " le Newroz était l’occasion de l’expression des sentiments de fraternité, de l’amitié et de la paix ". Contrairement aux années précédentes, il n’y a pas eu d’affrontements sanglants entre les forces de sécurité et la population. Cependant qu’au moins 147 personnes ont été arrêtées à Istanbul et un nombre indéterminé dans d’autres villes kurdes où les célébrations étaient interdites. Toujours à Istanbul, le gouverneur, Erol Çakir, a refusé au parti pro-kurde HADEP l’organisation des festivités en s’appuyant sur une question d’orthographe. Selon le gouverneur, l’autorisation a été rejetée car la demande faisait référence au " Newroz ", orthographe kurde du mot qui signifie le jour nouveau et non au " Nevruz ", orthographe turque empruntée au persan à l’époque ottomane. " Écrit comme tel ‘Newroz’ n’est pas un mot turc (…) la législation sur les partis politiques dispose que les partis ne peuvent utiliser une autre langue que le Turc " argumente Osman Demir, gouverneur adjoint d’Istanbul dans une lettre adressée au HADEP [ndlr : la lettre W n’existe pas dans l’alphabet turc]. Une célébration a été organisée par le gouverneur même d’Istanbul. 27 000 policiers ont été mobilisés et une cellule de crise a été établie pour l’événement. Les cadets des écoles de police et de la gendarmerie des arrondissements d’ Etiler et de Florya sont également venus en renfort.

Serdar Turgut, éditorialiste au quotidien turc Hürriyet, écrit le 23 mars en toute ironie dans article intitulé " À bas la lettre W ! " ceci : " L’opération consiste à effacer WC sur toutes les toilettes publiques et les remplacer par VC (…) Attention ! Si vous êtes de l’Est et qu’après dur labeur, vous arrivez à vous acheter une BMW, essayez de vous en débarrasser (…) On ne peut pas savoir la position de l’ennemi (…) Chers parents ! grands-parents ou tout autre personne responsable d’un enfant ! Prenez garde. Ne laissez rien au hasard. Ne laissez pas les jeunes aller dans la rue avec un walkman. Une fois en marche, on ne peut pas savoir jusqu’où peut aller le mécanisme étatique (…) J’avais de toute façon des doutes sur ces walkman depuis fort longtemps (…) La vérité éclate en plein jour maintenant. Ces ennemis de l’Etat se promènent entre nous avec leurs walkman en silence et font la propagande séparatiste en s’affichant avec leur W (…) Nous essayons d’intégrer l’Union européenne (…) Ce jour-là arrivé, tous les pays de l’Union sortiront ensemble de l’UE… "

À Ankara, 3000 personnes ont assisté aux festivités dans le calme. À Izmir, des pluies torrentielles ont empêché la célébration. Plus de 10 000 personnes ont assisté au Newroz à Mersin et Adana.

Pour la première fois cette année, le HADEP avait été autorisé à organiser des festivités pour célébrer le Newroz à Diyarbakir et dans la province de Batman. Un millier de bus, camions et minibus se sont chargés de transporter les habitants à plus de 8km de Diyarbakir. Sur des pancartes brandies on pouvait lire " Newroz=fraternité " ou " Vive la paix ". Le président du HADEP, Ahmet Turan Demir, a estimé dans un communiqué que le Newroz représentait " une nouvelle étape dans le processus de paix et de démocratisation (…) le Newroz est le symbole de notre peuple pour l’unité, la paix, et la fraternité ". Une foule immense, évaluée à 300 000 personnes a assisté aux festivités à Diyarbakir.

D’autre part, la Turquie a exprimé le 22 mars son " malaise " concernant la façon dont le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, a organisé une réception pour célébrer la fête du Newroz à Ankara. Lors de la réception, célébrée dans un grand hôtel d’Ankara, le PDK avait présenté plusieurs de ses membres, arrivés du nord de l’Irak, comme des " ministres " selon les médias. Aucun officiel turc n’avait assisté à la réception où étaient présents en revanche les ambassadeurs de plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne et l’Italie. La Turquie est très irritée par toute action des partis kurdes d’Irak, qui échappe au contrôle de Bagdad depuis la guerre du Golf, susceptible d’être interprétée comme le signe de la création d’un Etat kurde indépendant dans la région, et soutient fermement l’intégrité territoriale de l’Irak. Safin Diyayee, représentant à Ankara du PDK a été convoqué le 22 mars au ministère turc des Affaires étrangères.

EUROCOPTER AYANT ÉTÉ ÉCARTÉ DU MARCHÉ TURC, JACQUES CHIRAC AJOURNE SON VOYAGE À ANKARA


L’atmosphère semble se tendre entre la France et la Turquie depuis que le consortium franco-allemand Eurocopter a été écarté du marché d’hélicoptères lancé par la Turquie pour un montant de 4,5 milliards de dollars. Très opposé à la vente d’armes à Ankara, le groupe des Verts allemands avaient opposé son refus à ce marché de 145 hélicoptères malgré tous les efforts déployés par la France. Eurocopter avait alors été mis de côté par les autorités turques le 6 mars 2000. La réponse française ne s’est pas fait attendre puisque le quotidien turc Hurriyet annonce dans son édition du 24 mars 2000 que le président Jacques Chirac a suspendu sa visite officielle à Ankara en riposte à la décision turque. Le quotidien Hurriyet titre sa Une " Ça ne se fait pas Monsieur " et annonce que l’ambassadeur turc à Paris, Sönmez Köksal, a été convoqué récemment à l’Elysée pour s’entretenir avec son conseiller en chef. Selon le journal, le conseiller du Président s’est exprimé ainsi : " Monsieur Chirac a usé des efforts personnels et fait tout ce qui est en son pouvoir pour que le texte sur le génocide arménien ne passe pas au Sénat français. Il a également œuvré comme un vrai Turc dans toute l’Europe pour la candidature turque à l’Union européenne et a joué un rôle clé pour la candidature à Helsinki (…) Monsieur Chirac a été profondément attristé et désappointé de voir qu’Ankara a écarté la France, pays ami, de son marché d’hélicoptères. Par conséquent, M. Chirac a ajourné son voyage prévu pour ce printemps jusqu’à ce que ‘les relations entre les deux pays soient améliorées’."

Les autorités turques ont réagi vivement à ceci en déclarant " apparemment Paris n’avait que des intérêts mercantiles dans ses relations avec la Turquie. Ankara est très deçu qu’un marché d’hélicoptères puisse les faire réagir avec autant de force ". Le journal continue en disant " il a rapidement oublié le passé " en faisant référence à la nomination de Jean Claude Cousseran, ancien ambassadeur français en Turquie, qui n’était qu’ancien chef des services de renseignements français [ ndlr : actuel ambassadeur turc à Paris est également ancien chef du MIT, service de renseignement turc]. Le quotidien rappelle également que ces trois dernières années, la France a vendu des roquettes de moyenne portée, des hélicoptères, des équipements militaires de plus d’un milliard de dollars et qu’en 1993, la Turquie a même annulé son contrat avec la firme américaine Sikorsky pour acheter 20 hélicoptères Cougar.

LE PRÉSIDENT DU HADEP RISQUE TROIS ANS DE PRISON


Un nouveau procès s’est ouvert le 21 mars devant la Cour de sûreté de l’Etat d’Ankara contre Ahmet Turan Demir, le président du parti de la démocratie du peuple (HADEP) pour " propagande séparatiste ". M. Demir, absent de cette première audience, est accusé d’avoir tenu des propos visant à une " propagande séparatiste " lors d’une réunion de son parti en octobre dernier à Ankara et risque jusqu’à trois ans de prison. Selon l’acte d’accusation, il aurait dit dans son discours qu’un règlement de la " question kurde est proche " et suggéré une " division " des peuples turc et kurde en Turquie à l’instar de la séparation " pacifique " de la Tchécoslovaquie en républiques tchèque et slovaque. La Cour a ajourné le procès à une date ultérieure et exigé que l’accusé soit présent à la prochaine audience. Ahmet Turan Demir, son prédécesseur Murat Bozlak et plusieurs autres responsables du parti HADEP ont été condamnés, le 24 février, à trois ans et neuf mois de prison chacun pour " soutien " au PKK. Par ailleurs, le HADEP est menacé de dissolution par la justice turque pour " liens organiques " avec le PKK.

ANKARA NE VEUT PAS RECEVOIR MAX VAN DER STOEL


Le quotidien turc Hürriyet annonce le 22 mars sous la plume de Mehmed Ali Birand que la Turquie refuse d’accorder un rendez-vous à Max Van der Stoel, haut-commissaire chargé des questions des minorités au sein de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ancien ministre hollandais des affaires étrangères, M. Van der Stoel qui fut aussi le rapporteur spécial de l’ONU pour l’Irak, participera le 11 avril 2000 à un séminaire sur les minorités à Antalya. À cette occasion, un entretien avec le ministre turc des affaires étrangères, Ismail Cem et le ministre chargé des droits de l’homme, M. Ali Irtemçelik est sollicité pour que le haut-commissaire puisse se faire un avis sur la politique du gouvernement de B. Ecevit concernant " la sauvegarde des droits culturels des minorités ". D’après certaines sources proches du gouvernement, Ismail Cem serait complètement hostile à un quelconque entretien avec M. Van der Stoel et considère le rendez-vous " néfaste ", alors que M. Irtemçelik serait tout à fait prêt à le recevoir mais la réaction de son collègue le met en situation difficile. Selon M. Ali Birand, Ankara n’a toujours pas répondu à la demande du responsable de l’OSCE. " Jusqu’aujourd’hui le seul pays membre qui ait refusé un rendez-vous sollicité par Max van der Stoel se trouve être la Yougoslavie, présidé par Milosevic " écrit le journaliste. Selon les dispositions de l’OSCE, un pays membre qui refuse l’entretien du haut-commissaire doit rendre des comptes au Conseil. Des proches du ministre des affaires étrangères auraient déclaré ceci : " Nous savons qui sont les minorités en Turquie et ils ont obtenu tous les droits. Accorder un entretien au haut-commissaire peut pousser certains à lancer une campagne pour que les Kurdes puissent demander à bénéficier de ce statut ". Mehmed Ali Birand conclut en disant que " nous voulons appliquer selon notre propre volonté les conventions et règlements auxquels nous avons adhérés ".

WALID JOUMBLAT PLAIDE POUR LES DROITS CULTURELS DES KURDES


Dans une interview accordé le 21 mars 2000 au journal turc Sabah, le leader des Druzes et du parti socialiste libanais, Walid Joumblat, a plaidé pour les droits culturels du peuple kurde. " Nous sommes d’origine kurde. J’ai des relations avec des Kurdes du monde entier. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut accorder des droits culturels et identitaires au peuple kurde dans le cadre des frontières de la Turquie. Je suis conscient que je ne suis pas très populaire dans le milieu politique turc à cause de mes opinions. Et pourtant la Turquie est le pays que Nora (son épouse) et moi voudrions le plus visiter ".