Publications

Haut

POINT SUR LA SITUATION EN TURQUIE

CILDEKT
 -
Liste
NO: 112

5/10/1998

  1. LA CONDAMNATION À DEUX ANS DE PRISON DE LEYLA ZANA POUR LE TEXTE SUIVANT
  2. LA TURQUIE EN ÉTAT DE GUERRE NON DÉCLARÉE CONTRE LA SYRIE, SELON LE CHEF DES ARMÉES TURQUES
  3. LA TURQUIE RAPPELLE SON AMBASSADEUR EN ITALIE POUR PROTESTER CONTRE LA TENUE À ROME D'UNE RÉUNION DU PARLEMENT KURDE EN EXIL
  4. NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN
  5. GIGANTESQUE OPÉRATION DE BLANCHIMENT D'ARGENT NOIR
  6. 200 PERSONNES DONT DE NOMBREUX KURDES INTERPELLÉES EN ANGLETERRE POUR AVOIR PROTESTÉ CONTRE LES VENTES D'ARMES BRITANNIQUES


LA CONDAMNATION À DEUX ANS DE PRISON DE LEYLA ZANA POUR LE TEXTE SUIVANT


Le 17 septembre, le jour même où le Parlement européen, dans une nouvelle résolution, demandant "la libération immédiate de Mme Leyla Zana", lauréate du Prix Sakharov pour la liberté de l'esprit , incarcérée depuis mars 1994 pour délit d'opinion, la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné l'ex-députée kurde à une nouvelle peine de deux ans de prison pour le texte ci-dessus paru dans le numéro 1 du bulletin interne du Hadep, publié en mars 1997 à l'occasion du Newruz, le Nouvel an kurde (cf. le numéro 111 de notre bulletin). Voici, pour l'information de nos lecteurs la traduction intégrale de ce texte afin qu'il puisse juger sur pièces la justice administrée par les tribunaux turcs.

"Mes chers amis,

Le devoir de tout parti et de toute organisation politique est d'informer périodiquement, d'éduquer et de préparer pour l'avenir ses cadres et ses sympathisants.

Il faut à cet effet mettre l'accent sur l'éducation interne, les séminaires, réunions et autres activités similaires puis diffuser auprès du public par des bulletins mensuels.

Le bulletin est important, très important quant à la politique, la conception et la perspective de la direction. Il est extrêmement difficile pour un peuple comme le nôtre, exploité, tenu pour inexistant, faisant face à la déportation et à la destruction, de créer des institutions pour faire de la politique. Cependant ce qui importe c'est de dépasser les difficultés. Aussi devons-nous exprimer franchement que nous nous sommes pas améliorés suffisamment depuis le HEP [NDLR. Parti travailliste du peuple sur la liste duquel L. Zana et une vingtaine de ses collègues kurdes furent élus en novembre 1991. Le HEP fut plus tard interdit par la Cour constitutionnelle turque] à ce sujet. Ne pas reconnaître l'autorité centrale, ne pas se soumettre à la discipline, se montrer dans un mouvement organisé et ne point agir d'une manière organisée On pourrait énumérer de nombreuses autres carences.

Nous ne devons pas oublier que le combat légal a été mené jusqu'à ce point au prix d'un travail intense et de grands sacrifices. Le HADEP, héritier du HEP et du DEP, compte des dizaines de martyrs et autant de prisonniers. Vedat AYDIN, Mehmet SINCAR et Muhsin MELIK [NDLR. Il s'agit des dirigeants du HEP assassinés par des escadrons de la mort. M. SINCAR était député de Mardin lors de son assassinat] ne sont que quelques noms parmi d'autresIl ne faut pas perdre de vue que les acquis démocratiques que nous essayons de sauvegarder ont été obtenus grâce au martyre de ces camarades. C'est pourquoi nous devons savoir que nous n'avons aucun droit à aller contre la volonté du peuple ou de dilapider les valeurs créées.

De même, nous devons savoir précisément que ce qui nous différencie des partis de l'establishment, c'est de nous fonder sur la force propre du peuple et d'agir grâce au soutien et au courage que nous puisons auprès du peuple.

Tant que nous serons sincères et biens intentionnés, nos carences voire nos fautes ne nuisant pas à la lutte pour la démocratie et la liberté, seront pardonnées par notre peuple.

Nous devons savoir que notre peuple n'acceptera pas des approches basées sur des arrière pensées, sur l'égoïsme, le carriérisme ou l'intérêt personnel. Alors que la guerre s'intensifie de plus en plus, que nous traversons une période difficile, nous devons nous écarter des intérêts personnels et des égoïsmes et rester unis.

Affectueusement.

Leyla Zana, Députée du DEP en prison."

LA TURQUIE EN ÉTAT DE GUERRE NON DÉCLARÉE CONTRE LA SYRIE, SELON LE CHEF DES ARMÉES TURQUES


Après les mises en gardes de nombreux dirigeants civils et militaires turcs, le président turc Suleyman Demirel, a déclaré dans un discours prononcé jeudi 1 octobre 1998, à l'occasion de la rentrée parlementaire: "Je déclare à la communauté internationale que nous nous réservons le droit de riposter face à la Syrie, qui ne renonce pas à son attitude envers la Turquie, en dépit de nos démarches pacifiques et de nos mises en garde répétées". M. Demirel a accusé la Syrie de mener "ouvertement une politique d'hostilité contre la Turquie" de "soutenir le PKK" puis a ajouté "je déclare également à la communauté internationale que nous sommes à bout de patience". Ankara accuse son voisin de fournir un soutien logistique à la rébellion armée du PKK et d'abriter son chef sur son sol. De son côté la Syrie reproche à la Turquie de rationner son eau sur l'Euphrate en construisant des barrages sur le fleuve mais aussi sa coopération avec Israël. D'autre part Damas revendique la province de Hatay, annexée à la Turquie qu'en 1939. Le Conseil de Sécurité nationale (MGK), la plus haute instance politico-militaire du pays, a discuté, mercredi 30 septembre 1998, une série de sanctions économiques, politiques et militaires contre la Syrie. À l'issue de la réunion du MGK, le général Kivrikoglu, chef d'état-major des armées turques a fait savoir publiquement que "la Turquie est en état de guerre non déclarée avec la Syrie". Des manuvres militaires de l'OTAN ont actuellement lieu près des côtes syriennes. Ensuite l'armée turque pour la première fois dans l'histoire de la République turque, entreprendra des manuvres le long de la frontière syrienne où on assiste de part et d'autre à des mouvements de troupes. Pour le ministre turc de la défense, il ne s'agit que de "montrer le gros bâton" aux Syriens, une confrontation militaire n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Cependant les médias jouent à l'unisson les va-t-en guerre et enflamment l'opinion publique par des articles et éditoriaux belliqueux et ultra-nalionalistes. Dans le quotidien Hürriyet du 3 octobre, Oktay Eksi, président de la Société des journalistes de Turquie qualifie la Syrie et la Grèce de "calamités (bela) pour la Turquie"; selon lui ces deux pays, mécontents des frontières actuelles de la Turquie n'auraient cessé d'agir pour affaiblir et causer la perte de la Turquie. Pour le directeur de Hürriyet E. Özkök, l'armée est prête à intervenir contre la Syrie, intervention que son collègue, E. Çölasan appelle de ses vux pour "punir et écraser le microbe syrien". Tous les partis politiques, y compris les "sociaux-démocrates" du CHP et les islamistes soutiennent les déclarations martiales des chefs militaires.

Cette brusque est artificielle montée des tensions survient alors que le PKK a décrété, depuis le 1er septembre une trêve unilatérale. Engluée dans une crise politique profonde, la Turquie semble par cette fuite en avant vouloir créer une union sacrée, mettre en parenthèses les élections d'avril 1999 que les islamistes pourraient remporter et étouffer au nom de la défense de "la patrie en danger" toutes les oppositions et contestations intérieures. Le 3 octobre, l'Égypte a offert ses services pour une médiation entre Ankara et Damas et la Syrie se dit prête à régler ses contentieux avec la Turquie par la voix diplomatique. Le président égyptien H. Mubarak va entreprendre personnellement cette médiation.

LA TURQUIE RAPPELLE SON AMBASSADEUR EN ITALIE POUR PROTESTER CONTRE LA TENUE À ROME D'UNE RÉUNION DU PARLEMENT KURDE EN EXIL


La réunion, les 29 et 30 septembre du Parlement kurde en exil dans une salle située dans un bâtiment annexe du Parlement italien a provoqué la colère des autorités turques qui crient à la "trahison" d'un pays allié. "Comment un Etat-membre de l'OTAN peut-il recevoir une organisation terroriste qui menace l'unité et l'intégrité territoriale d'une autre nation" a déclaré M. Korkmaz Haktanir, sous-secrétaire d'État du ministère turc des affaires étrangères. La Turquie a déployé tous ses efforts pour faire interdire cette réunion. M. Hikmet Çetin, président du parlement turc, a contacté son homologue italien le 25 septembre. Le ministre turc des affaires étrangères a également envoyé une lettre à son homologue et convoqué l'ambassadeur italien à Ankara pour évoquer les conséquences très graves qu'une telle réunion pourraient avoir sur les relations entre les deux pays.

De son côté, le gouverment italien a indiqué qu'il n'avait aucun moyen d'empêcher des députés italiens de recevoir dans une salle du Parlement qui ils veulent et d'y tenir une réunion. Dans une lettre à son collègue turc, le ministre italien des Affaires étrangères Lamberto Dini écrit notamment: "Quels que puissent être les regrets du gouvernement et les miens quant à cette initiative, celle-ci relève des prérogatives de nos députés () J'espère que cet épisode n'aura pas de conséquences sur les excellents rapports existant entre nos deux pays".

En Turquie où, comme on l'a vu lors de la conférence de paix d'Ankara du 8 mai 1997, une réunion soutenue par des ministres et des députés peut être interdite sur ordre des militaires, l'explication italienne sur "les prérogatives des députés" n'a pas convaincu. Ankara parle de "complot", du "réveil de l'esprit de Sèvres visant à diviser la Turquie et à créer un Kurdistan" [NDLR. Le traité international de Sèvres annexe du Traité de Versailles, signé en 1920 prévoyait la création d'un Kurdistan et d'une Arménie] Finalement, le 2 octobre la Turquie a rappelé "pour consultation" son ambassadeur à Rome, Inal Batu. Elle menace de "punir" l'Italie en l'excluant des contrats de défense et de construction où les firmes italiennes sont compétitives. On parle en particulier de l'exclusion de la firme Augusta de l'important marché des hélicoptères de combat. Il y a quelques mois, la participation de la firme franco-allemande Eurocopter avait été "suspendue" en raison du vote par l'Assemblée nationale française d'une résolution reconnaissant le génocide arménien de 1915.

NOUVELLE INCURSION MILITAIRE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN


Alors que la guerre menace entre la Turquie et la Syrie, quelque 10 000 soldats turcs ont effectué, vendredi 2 octobre 1998, une nouvelle incursion militaire dans le Kurdistan irakien pour une opération de "nettoyage des bases du PKK avant l'hiver". Cette nouvelle intervention turque faisait suite à deux jours de frappes aériennes contre de présumées bases du PKK dans la région.

GIGANTESQUE OPÉRATION DE BLANCHIMENT D'ARGENT NOIR


Le rôle de la Turquie comme plaque tournante du trafic international de drogue et de blanchiment de l'argent noir étant de plus en plus critiqué par les alliés occidentaux d'Ankara, les autorités turques viennent de décréter une gigantesque opération de blanchiment officiel en promettant l'absence de poursuites et d'impunité à tous ceux qui déposeront leurs capitaux dans des banques avant la date fatidique du 30 septembre. Cette date est décrétée le début d'une nouvelle ère financière (Mali Milat). Nul ne sera interrogé sur l'origine des fonds et biens acquis avant cette date qui seront considérés d'office comme légitimes. Les richesses acquises après le 30 septembre seraient théoriquement plus surveillées par le fisc turc de même que les dépôts d'espèces dépassant un certain montant.

Comme le relève le rédacteur en chef de Turkish Daily News, Ilnur Çelik, cette opération a donné lieu à de transactions financières se traduisant par l'achat à coup de sommes astronomiques de télévisions, d'usines ou de chaines hotelières. Dans un pays où le salaire minimum est d'environ 700F par mois, une chaine de télévision privée a payé $2,5 millions pour le transfert d'un journaliste. D'où vient tout cet argent? se demande M. Çelik Comme nul ne s'interroge sur l'origine de ces fonds, on ne doit pas s'étonner que notre pays ait une si mauvaise image à l'étranger conclut-il.

Dans le quotidien Yeni Yüzyil du 20 septembre, l'éditorialiste Mensur Akgun revient sur cette question en donnant des extraits d'un article du président de l'Institut kurde publié dans le Monde diplomatique de juillet 1998 sur l'imbrication de la mafia et de l'Etat en Turquie. "Comment réfuter ses arguments et ses informations puisés dans les documents officiels incontestés? On peut certes affirmer qu'il est séparatiste ou hostile à la Turquie pour éluder tout débat de fond, mais avec quelle crédibilité? Qui va nous croire? Nous n'avons malheureusement pas d'arguments sérieux à lui opposer et du fait notre gouvernement n'a pas fait démentir ses informations si dommageables à notre réputation à l'étranger" conclut-il.

L'opération de "nouvelle ère financière" va certes mettre les compteurs à zéro et permettre de blanchir plusieurs milliards de dollars d'argent noir. Mais les citoyens turcs restent sceptiques quant à la promesse d'un meilleur contrôle d'immenses flux financiers, d'origine criminelle qui alimentent et maintiennent à flou l'économie turque.

200 PERSONNES DONT DE NOMBREUX KURDES INTERPELLÉES EN ANGLETERRE POUR AVOIR PROTESTÉ CONTRE LES VENTES D'ARMES BRITANNIQUES


Plus de 200 personnes dont de nombreux Kurdes de Turquie ont été, mercredi 23 septembre 1998, interpellées à Londres à la suite d'une manifestation contre la vente d'armes britanniques destinées aux pays dénoncés pour violations massives de droits de l'homme. Amnesty International a déploré que les exportations continuent malgré les déclarations du gouvernement britannique promettant de placer les droits de l'homme au cur de sa politique étrangère.

Le gouvernement britannique a accordé 160 licences pour exportation d'armes à destination de la Turquie depuis mai 1997 date de son arrivée au pouvoir. Les licences accordées par le Département du commerce et de l'industrie comprennent des marchandises telles que des sous marins, des avions militaires mais également des véhicules terrestres, des armes automatiques, des grenades, des lances-flammes et des fusils. Or ces derniers sont parmi les armes utilisées par l'armée turque contre les villages kurdes. Selon Sue Lloyd-Roberts, correspondante de la BBC, de nombreuses armes utilisées contre les Kurdes par l'armée turque sortent des usines britanniques. Les Kurdes ont du mal à comprendre que des pays d'Europe poursuivent la vente d'armes avec la Turquie alors qu'ils ont rejeté sa candidature à l'Union européenne pour des raisons liées aux violations des droits de l'homme.

Un reportage diffusé sur la chaîne BBC est venu appuyer les affirmations selon lesquelles les armes britanniques sont utilisées contre la population civile kurde par l'armée turque. Interrogé sur la question le secrétaire britannique à la défense, George Robertson a affirmé sur la même chaîne que la Grande Bretagne vendait des armes à la Turquie conformément à la Charte des Nations-Unies pour l'auto-défense de la Turquie.

Par ailleurs de nombreuses ONGs avaient récemment protesté contre une proposition de vente américaine de 80 véhicules blindés de transport de troupes et 60 véhicules de contrôle de foule à la Turquie. L'équipement, d'une valeur de $38 millions, est fabriqué par AV Technologies au Michigan. La vente des premiers véhicules a été approuvée malgré tout car ceux-ci sont considérés comme étant "non-mortels".

Pourtant, le département d'État américain, dans son Rapport Annuel des Pays relatif aux pratiques des droits de l'homme et des organisations telles que Amnesty International, placent la police anti-terreur et anti-émeute turque en tête des responsables des abus dans le domaine des droits de l'homme. Rien que les rapports de septembre 1998 dénombrent la détention de plus de 300 manifestants pacifiques.